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La vie en fauteuil roulant

Le 29 février 2024, j'ai eu un accident, résultat : rupture du talon d'Achille (tous les détails ici). A la suite de ça, opération puis immobilisation de la jambe gauche pendant 45 jours. J'ai passé beaucoup de temps entre le lit et le canapé avec des béquilles, et j'ai eu rapidement l'idée de demander un fauteuil roulant, pour me permettre de rester mobile un minimum, car comme la jambe doit rester horizontale, c'est difficile avec des béquilles de rester debout longtemps.

Vivre avec une jambe immobilisée

J'ai vécu pendant 46 ans avec tous mes membres, jamais un accident qui m'avait immobilisé un membre, ni un bras, ni une jambe, jusqu'ici, tout allait bien.

Le jour où je me suis retrouvé avec cette jambe immobilisée, j'ai compris les difficultés qui se posaient. Tous déplacements dans mon appartement sont devenus de vrais obstacles : se déplacer d'une pièce à l'autre prend tellement de temps et d'organisation dans la tête, que je dois, à chaque fois, me demander s'il faut y aller maintenant, ou si ça ne peut pas se faire en même temps qu'autre chose. Des choses toutes simples, comme aller aux toilettes, ou même boire un verre d'eau, sont devenues très compliquées, à la fois physiquement, et dans ma tête, chaque déplacement est devenu un obstacle infranchissable.

Bien sûr, au fur et à mesure, cela est devenu mon quotidien, et j'ai commencé à m'organiser, ce qui est bien car la particularité de l'humain est bien de s'adapter.

Le fauteuil roulant

Pour rendre les choses supportables, j'ai demandé à mon médecin un fauteuil roulant. Dans ma tête, les roues allaient me redonner la mobilité, et le chirurgien m'a donc fait une ordonnance pour un fauteuil roulant pendant les 45 jours de l'immobilisation de ma jambe.

Je suis allé chercher ce fauteuil à la pharmacie, en béquille. D'abord, il faut savoir que c'est assez rare qu'il y ait du stock. Première déception : un fauteuil, ça se commande. La livraison prend au maximum 24h, mais ça veut dire aller 2 fois à la pharmacie, 2 déplacements, donc 2 fois plus de stress, le cerveau qui s'agite, dur, surtout au début.
Il faut aussi déposer une caution de 500€ en chèque.

Concernant la commande, je m'attendais à voir un catalogue avec des photos et choisir un fauteuil et quelques explications sur les options disponibles. Au lieu de ça, j'ai juste eu à fournir ma taille et mon poids, pour le reste, j'ai attendu le fauteuil, c'est eux qui ont choisi. Il existe plusieurs largeur de fauteuil et des options très utiles pour les débutants, notamment des roues anti-basculement, on y reviendra plus tard.

Deuxième déplacement pour récupérer le fauteuil, la personne au comptoir va chercher le fauteuil emballé dans une bâche en plastique, et s'apprête à me le donner. Elle comprend quand-même que je vais devoir m'asseoir dans le fauteuil, donc elle enlève la bâche et le plastique des grandes roues, mais laisse celui des petites roues. Pas très sympa. Ensuite, je lui demande comment ça fonctionne. Elle a du appelée la pharmacienne, qui est venu me montrer comment retirer la jambière (la partie qui soutient ma jambe à l'horizontal) et plier le fauteuil. Rien de plus, donc je suis reparti avec le fauteuil dans la voiture et c'était assez compliqué car un fauteuil roulant, c'est grand et le coffre n'est jamais assez grand, il faut basculer les sièges.

Le fauteuil est un modèle Invacare Action 2NG qui coûte environ 700€ à l'achat neuf. Celui que j'ai obtenu a été acheté en 2011, c'est indiqué sur l'étiquette (donc largement rentabilisé). J'ai trouvé le site internet et le manuel d'utilisation plusieurs jours après l'avoir récupéré malheureusement.


Heureusement, quelques jours après, un ami qui sait de quoi il parle est venu me voir et m'a fait une démonstration de l'utilisation du fauteuil. Réglage du dossier, bascule des accoudoirs, comment le démonter entièrement y compris les roues, j'ai pu vraiment comprendre comment ça fonctionnait pour mieux l'utiliser, et c'est vrai que c'est pratique. Dommage que la pharmacie ne m'ait pas fait ce type de mini formation (10 minutes auraient suffit).

Le fauteuil au quotidien

Je suis rentré chez moi plein d'espoir avec ce fauteuil, et j'ai rapidement commencer à comprendre que ce qui semblait me donner un peu de liberté et d'autonomie allait me donner d'autres soucis.

Mon appartement est récent donc la taille des portes est appropriée, je peux parcourir tout l'appartement sans difficulté, même si une fois dans une chambre ou à l'entrée de la salle de bain, il faut bien sortir du fauteuil, sans parler des toilettes qui ne sont vraiment pas praticables avec un fauteuil.

Pour ma faciliter la vie au début, je suis allé passer une semaine chez mes parents, dans un pavillon. Mon père est fier de dire depuis des années qu'en cas de besoin, la maison est adaptée aux fauteuils roulants. Une fois sur place, c'est autre chose : le fauteuil passe difficilement dans les portes, et avec ma jambe verticale, impossible de tourner dans le couloir, donc à part dans le salon, le fauteuil est inutile. Dans la salle à manger, pour que le fauteuil soit utile, il faut que la table soit un peu adaptée car il faut pouvoir glisser mon pied sous ou à côté de la table, et ce n'est pas simple.

Au final, le fauteuil roulant, dans le lieu d'habitation, ne sert à rien, le canapé est plus adapté.

Quelques escapades et un accident

Je voulais avoir un fauteuil pour avoir plus de liberté, plus d'autonomie. De ce côté-là aussi, il y a plein de choses à dire.

Pendant mon séjour chez mes parents, je trouvais utile de sortir un peu et de profiter du fauteuil dehors. Pas loin de chez mes parents, il y a une piste cyclable de campagne, et mon près a décidé de m'emmener. Bien sûr, il a fallu gérer la logistique pour aller sur place, à 15km, mais de ce côté-là, ça s'est plutôt bien passé. Ensuite, aller sur la piste cyclable à partir du parking, c'était un peu compliqué : il y a un mètre à faire dans l'herbe. Bien sûr, en vélo, ça ne pose pas de problème, mais en fauteuil roulant, ce n'est pas un vélo, mon père n'a pas l'habitude de pousser ce type d'engin, alors c'était un peu risqué, mais c'est passé, et j'ai pu arriver sur cette piste cyclable.


A partir de là, un peu d'autonomie, j'ai poussé moi-même mon fauteuil. C'est normal aussi, je n'ai pas l'habitude, mais faire un kilomètre en 30 minutes, c'est pas rapide. En vélo, on va à 20km/h facilement, à pied, je marche assez vite, 7 à 8km/h, et là, péniblement, car c'est effectivement difficile, je suis allé à 2km/h. Tout de suite, on se rend compte des limites. Mon père pouvait me pousser, la vitesse était supérieure, et quelques appréhensions car après, ça fait rapide, quand on n'a pas l'habitude.

Quelques jours plus tard, ma sœur arrive et au lieu d'aller faire un tour sur une piste cyclable, on ne voulait pas faire de voiture, on a fait un tour dans le quartier. C'est un quartier tranquille, un peu comme un lotissement, au premier abord, ça semble assez simple, mais très vite, c'est devenu un cauchemar !

Pour sortir de la maison, il y a une marche, entre l'allée de la maison, en carrelage, et le trottoir, avec des petits cailloux bleus. Je ne voulais pas y aller en marche avant de peur de basculer vers l'avant, alors j'y suis allé tranquillement en reculant, jusqu'à la marche. Les grandes roues sont donc passées en premier, et une fois la marche passée, le reste du fauteuil a basculé vers l'arrière, et je me suis retrouvé par terre.

Voilà à quoi servent les roues anti-basculement dont personne ne m'avait parlé avant, alors que juste le fait d'en parler m'aurait permis de comprendre quelques uns des risques liés au fauteuil roulant. Ma sœur avait le regard ailleurs au moment de l'incident, et elle est heureusement venue m'aider pour me remettre dans le fauteuil.

Au final, un égratignure à la main droite, et une marche indélébile dans ma tête. Et le fauteuil qui servait à me libérer et me donner de l'autonomie est devenu un véhicule dangereux à utiliser uniquement dans des endroits plats.

Le reste de cette balade était aussi difficile car en voiture, on ne voit pas toutes les imperfections de la route, alors qu'en fauteuil, celui-ci se met à trembler et à chavirer au moindre nid de poule. On a rapidement fait demi-tour, et c'était ma dernière sortie à l'extérieur.

Invisibilité

Je suis sorti 2 autres fois. Une première fois pour une réunion avec des gens que je connaissais bien. Quelqu'un est venu me chercher, et s'est assuré de ma sécurité, et tout s'est bien passé. Sur place, la salle n'était pas totalement plate, une partie du sol monte. Je l'avais déjà remarqué, mais sans y prêter attention. Cette fois, j'ai évité toute cette partie de la salle, de peur que le fauteuil se renverse.

Il faut aussi faire très attention aux gens qui avancent et surtout reculent sans faire attention, et si j'essaie d'avancer alors que quelqu'un recule, surtout si c'est une personne un peu âgée ou qui a quelques soucis de mobilité, alors ça peut mal se terminer.

La deuxième sortie était différente et m'a fait découvrir un autre aspect du fauteuil roulant. Alors que dans la première réunion, je connaissais tous les participants, dans cette deuxième réunion, une rencontre dans une association, je ne connaissais que très peu de monde. Lors de mon arrivée dans cette grande salle, ou de l'arrivée de personne que je connaissais, toutes les personnes que je connaissais sont venues me dire bonjour et discuter avec moi. C'est plutôt une bonne chose. Mais c'était différent avec les autres.

Dans cette association, je suis le président, mais je ne connaissais pas tout le monde ce soir-là. Les deux tiers des personnes qui sont venues connaissaient un des membres du bureau, mais pas moi. Au fur et à mesure des arrivées, j'ai commencé à comprendre ce qui se passait : j'étais invisible. Je n'étais pas invisible parce que je ne connaissais pas les gens, non, mais bien parce que j'étais en fauteuil roulant. Comme il y a eu plus de 60 personnes, on a eu le temps de faire quelques tests suivant ma position dans la salle et les personnes qui se trouvaient autour de moi et nous sommes arrivés à 2 conclusions :

  • je suis invisible. Toutes les personnes autour de moi, quelque soient leur taille ou leur position de part et d'autres de moi ont pu dire bonjour aux arrivants, mais personne ne semblait me voir et me dire bonjour. On a vu ça quand j'étais tout seul, mais aussi accompagné d'autres membres du bureau ou avec les enfants qui étaient là. A chaque fois, personne n'est jamais venu me serrer la main.
  • je suis une barrière. Lorsque j'étais au milieu de la salle, alors que l'entrée était à une extrémité et une expo photo à une autre, ma présence empêchait les gens de passer. Pas uniquement sur l'espace que j'occupais, mais sur plusieurs mètres autour. Les gens ne voulaient pas passer près de moi de peur d'avoir à me dire bonjour. C'est comme ça que je le comprends.

Comme je suis président de cette association, j'ai du faire un discours et après ce discours, j'ai discuté un peu avec certaines personnes, les choses sont redevenues plus normales. La seule difficulté qui restait était le fait qu'en fauteuil, il est impossible de se faufiler entre les gens sans risquer de blesser quelqu'un. Un jeune a voulu m'emmener faire un tour, mais son attention n'était pas vraiment très concentré et j'ai du rapidement retourner dans un endroit sûr, où je ne gênais personne.

Conclusions

Je n'ai pas écrit ce texte pour me plaindre, d'ailleurs au moment où j'écris ce texte, je n'ai plus de fauteuil et les choses rentrent petit à petit dans l'ordre pour ma jambe.
J'ai écrit ce texte pour expliquer comment on se sent quand on est en fauteuil roulant et les difficultés, à la fois logistiques, au quotidien, et à la fois concernant le regard des autres, qui se présentent à nous dans ce contexte. Bien évidemment, c'est très rare pour une personne valide de se retrouver en fauteuil temporairement, et mon expérience est loin de celles de ceux qui se retrouvent en fauteuil roulant pour le reste de leur vie. Mais ça m'a permis de me mettre à la place d'une personne handicapée pendant quelques semaines, et de voir les difficultés énormes auxquelles elles doivent faire face. Les trottoirs et les routes ne sont pas adaptées, les fauteuils nécessitent une prise en main qui prend du temps, et le regard des autres qui pèse.

Comme pour tous les articles de ces blogs, c'est pour partager mon expérience, et je serai heureux aussi de partager l'expérience d'autres personnes sur ce sujet. Dans tous les cas, cette expérience me fait changer de regard sur les personnes qui sont en fauteuil roulant, et quand je serai amené, à l'avenir, à rencontrer des personnes en fauteuil, je n'oublierai pas d'adapter mes yeux, mon regard, et mes actions pour qu'elle se sente en sécurité et regardés d'une manière agréable.